L’éducation en langue minoritaire est une priorité, selon Fernand de Varennes, rapporteur spécial des Nations Unies pour les minorités.

Jeudi 30 novembre et vendredi 1er décembre, Kevre Breizh avec le Réseau européen pour l’égalité des langues (European languages equality network, ELEN) a participé au Forum des minorités, organisé aux Nations Unies à Genève avec Fernand de Varennes, rapporteur spécial sur les minorités. Deux membres des écoles Diwan (Bretagne) ont participé aux débats qui avaient pour thème la jeunesse. Elles ont mis l’accent sur les Etats qui, comme la France, appliquent les principes de l’Etat de droit mais refusent de reconnaître les minorités, en particulier les minorités linguistiques, alors que cette reconnaissance renforce la cohésion des sociétés.

Le Forum des minorités organisé par les Nations Unies, ayant cette année pour thème la jeunesse, le Réseau européen pour l’égalité des langues (European languages equality network, ELEN) a envoyé à Genève deux représentantes membres de Diwan, le réseau des écoles immersives bretonnes, Stéphanie Stoll, présidente Diwan et Carmen Le Bris, étudiante et ancienne élève de Diwan.

ELEN représentantes Carmen le Bris et Stéphanie Stoll, présidente Diwan.

«Refuser l’enseignement en langue minoritaire, c’est refuser une éducation équitable,» a exposé Fernand de Varennes, rapporteur spécial des Nations Unies sur les minorités, à l’ouverture des travaux. «Pour protéger les droits des minorités, bien des choses doivent changer, les jeunes sont au cœur des changements, a-t-il déclaré. Rendre les sociétés plus justes et plus inclusives, c’est un des piliers de ce changement. Il ne faut jamais accepter votre exclusion, celle de votre famille ou de vos voisins en raison de politiques discriminatoires ou de négation des droits humains. Il faut que votre voix soit entendue par vos gouvernements. Il faut leur rappeler leurs obligations et les aider dans cette voie.» M. de Varennes a repris à son compte l’adage de l’écrivain franco-algérien, Albert Camus, «la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité».

Lors de la session sur l’éducation, les représentantes d’ELEN au Forum des minorités ont été spécialement intéressées par les exposés des panelistes. Elzbieta Kuzborska a présenté les bénéfices de l’enseignement immersif en langue polonaise dispensé en Lituanie, qui contribue à renforcer la société inclusive et l’ouverture à la diversité. Wooki Park-Kim, activiste de la minorité coréenne au Japon, a parlé des problèmes que rencontre sa communauté pour transmettre sa langue et sa culture et des initiatives de la jeunesse pour améliorer les relations avec les Japonais de culture japonaise. Nouha Grine a parlé des actions de la jeunesse amazigh en Tunisie.

Les représentantes d’ELEN ont eu la chance de pouvoir s’exprimer au début des échanges avec la salle. Voici ce qu’a déclaré Stéphanie Stoll:

« La France est un Etat de droit, connu pour être promoteur des droits de l’homme, mais qui nie l’existence des minorités et des droits linguistiques en particulier, ou qui, quand il accorde un droit, le rend inopérant.

« Les exemples sont multiples :

« – le cas d’un enfant né en Bretagne en mai, il s’appelle Fañch, mais le tribunal refuse que ses parents inscrivent son nom selon son orthographe en breton avec un tilde. Selon le juge ce tilde menace l’unité nationale de la France, c’est inscrit dans un jugement ;

« – les élèves qui suivent un enseignement en breton et qui n’ont pas le droit de passer leurs examens et leurs diplômes en breton ;

« – nous avons appris cette semaine qu’en Alsace, l’enseignement immersif en langue régionale est sur le point d’être suspendu par le rectorat de la région Grand Est ;

« – en Bretagne, les gens se sont organisés, ils ont créé des écoles qui s’appellent les écoles Diwan et ils gèrent un système d’enseignement en langue minoritaire, mais sans cesse, ce sont des entraves sur leur chemin pour faire fonctionner ces écoles. On a eu encore une crise au mois de septembre quand l’Etat a supprimé des soutiens financiers qui servaient à des emplois dans les écoles.

« Nous pensons à plusieurs types de recommandations, par exemple :

« – mieux faire connaître leurs droits aux habitants, qu’ils sachent que les droits linguistiques font partie des droits de l’homme, ce serait une avancé ; qu’on sache, qu’en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant, la France a refusé de ratifier l’article 30 qui relève des minorités ;

« – mieux faire connaître les outils existants, comme le guide pratique pour la mise en œuvre des droits linguistiques des minorités linguistiques, publiée par la rapporteure en mars 2017 ;

« – mener un nouveau rapport sur la France comme l’avait fait Gay McDougall il y a quelques années ; non-application des droits des minorités linguistiques rejoint les problèmes que rencontrent les minorités Roms et que rencontrent les personnes migrantes, c’est un problème général. L’intervention de Winko Park-Kim, une personne d’origine coréenne qui vit au Japon, est très parlante pour nous qui vivons en France ;

« – enfin, que l’Unesco reprenne ses travaux sur la diversité linguistique. »

«Je retiens que la question de l’éducation en langue maternelle est d’extrême importance, tout en apprenant la langue officielle del’Etat, a répondu Fernand de Varennes. L’une des priorités de mon mandat est l’éducation en langue maternelle. Il y aura un rapport où nous examinerons cette question et nous espérons mener un dialogue constructif avec de nombreux gouvernement autour des guidelines que ma prédécesseur, Rita Izsak Ndiaye a élaboré sur le sujet. »

L’une des sessions du vendredi portait sur la jeunesse et les médias numériques. La délégation d’ELEN a pu apprécier la qualité de l’intervention d’une dizaine de jeunes Bretons de Kenstroll Breizh (collectif de Bretagne). « Nous avons constaté qu’en Bretagne, les médias qui diffusent des programmes en langue minorisée sont éclipsés par les grands groupes média, a expliqué Enora Molac, journaliste. Nous manquons cruellement de moyens financiers pour prendre notre place. Et pourtant, la jeunesse bretonne est dynamique et très ouverte sur le monde.»

Morgane Lincy a parlé de son récent tour d’Europe, avec sac à dos et caméra, à la rencontre d’autres minorités; elle s’apprête à diffuser gratuitement sur internet 110 interviews en breton, en francais et en anglais. «On reproche souvent à tort aux minoritées d’être repliée sur elle-même, mais laisser moi vous dire que c’est faux,» a déclaré cette étudiante à Bordeaux.

Enfin, Manon Le Gourrierec de la société de production JPL films à Rennes qui co-produit une émission jeunesse de langue bretonne, non sous-titrée. Elle propose que se crée un réseau international d’échange ou de coproduction de programmes audiovisuels en langue minoritaire à destination de la jeunesse.

Video du discours de Steph.